Après une nuit assez agitée, où seulement mon fatalisme a fait que j’ai pu dormir (c’est vrai, quoi ! Le soir ils nous ont avertis à la radio qu‘il y a l’orage sur le lac Ladoga et qu’il faut mettre nos affaires par terre, pour qu’elles ne nous cassent pas la tête, mdr… Et moi j’étais pour la première fois sur un bateau d’eau douce, qui plus est, un bateau construit en Allemagne Est en 1989, même si « entièrement rénové en 2008 selon les plus hauts standards de qualité »…Il y avait de quoi ne pas pouvoir dormir...hm...) nous nous sommes réveillé le lendemain sur une vaste étendue d’eau, si vaste qu’on aurait pu croire que nous sommes déjà sur le lac Onega…
Sauf que non, vu qu’à midi on devrait « pique-niquer » à Mandrogui, un village qui est quelques part à la moitié de chemin entre les lacs Ladoga et Onega, nous étions, of course, sur la rivière Svir, même si, c’est vrai, l'eau avait l’aspect d’un lac! Surtout que tout était si paisible, sans le moindre signe d'orage...
Nous étions sur la voie navigable qui relie la mer Baltique à la capitale russe, l'ancien système de canaux Mariinskij: nous avons commencé par la Neva et le lac Ladoga, maintenant c’est le Svir, rendu navigable par des gros travaux, puis on va traverser le lac Onega, les rivières Vytrégra et Kovja, encore un lac, le Lac Blanc, qui débouche sur la Cheksna, vient après un grand réservoir d'eau, à Rybinsk, puis «la petite mère des Russes», la Volga et, enfin, le canal de Moscou.
Tout ça fait partie d’un système fluvial sophistiqué qui permet de relier un ensemble des canaux, rivières et lacs aux cinq mers qui baignaient la Russie, la mer Baltique, la mer Blanche la mer Caspienne et la mer Noire, via la mer d'Azov. Système fluviale qui faisait la fierté des soviétiques auparavant et qui remplit de nostalgie les Russes d’aujourd’hui…
A notre gauche, au nord du Svir, du golfe de Finlande jusqu’à la mer Blanche, s’étend la Carélie, le pays aux 60000 lacs partagé entre la Russie et la Finlande, dont le destin me rappelle celui de la Bessarabie et la Bucovine de mes ancêtres ! Là, la rivière en guise de frontière c’est le Dniestr, ou plutôt Nistru, avec ses quatre villes fortifiées par notre voïévode national, Étienne le Grand : Hotin, (considérée une des sept merveilles d’Ukraine!!!) Soroca, Tighina et Cetatea Albă.
Et comme mon pays, pendant plusieurs siècles la Finlande, a essayé sans cesse de défendre son indépendance, dans les conditions de l'existence des voisins forts et envahissants.(commentaire en bas de la page), pour la Finlande tantôt la Suède (ben oui, la pacifique Suede n'était pas toujours aussi pacifique, hein...), tantôt la Russie, pour mon pays, tantôt la Turquie, tantôt la Russie (car oui, le "panslavisme existe depuis de siècle) et parfois les Polonais, car la Pologne a eu elle aussi son moment de gloire, si envahir les autres peuvent être considéré comme tel!...
Mais même sans cette similitude historique, le nom de Carélie me rappelait spontanément des anciens souvenirs de lecture, la taïga et l’idée d’une Sibérie pas si lointaine, tout cet immense espace russe qui me faisait rêver… et voilà que je le voyais enfin pour la première fois…
Mais à vrai dire, travel-addict comme je suis, après une année assez difficile et un été particulièrement laborieux, j’aurais voyagé n’importe où avec le même plaisir, sans doute, mais ici, sur ce bateau qui avançait presque sans bruit dans ces eaux limpides, traversant un paysage sorti directement des plus beaux films russes, j’étais vraiment aux anges…
Le bateau naviguait entre des berges boisées, bordés des plages de sable, des roseaux et des joncs, dépassant lentement plusieurs îlots couverts de denses forets de feuillus d’un vert encore très soutenu, où seul le début de jaunissement des feuilles de bouleaux annonçait l’arrivée de l’automne.
Le bleu intense de l’eau parsemée de petites vaguelettes ondulant sous un ciel d’un bleu limpide, avec le soleil qui dorait le feuillage et faisait briller l'écorce des bouleaux sur les rives, donnait l’impression d’une paix profonde, d’espace vierge de toute activité humaine. Et même la présence d’un pécheur dans sa barque au milieu de la rivière, ayant l’air d’être là juste pour compléter le décor de carte postale, ne faisait que renforcer cette impression.…
Impression vite contredite par l’apparition d’un pont, de quelques cargos super-chargés et puis des quelques maisons sur la rive gauche (en fait sur la rive droite, vu que le bateau naviguait en contre-sens, la rivière prenant sa source dans le lac Onega pour se jeter dans le lac Ladoga après un parcours de 224km). Je sais maintenant que le pont, situé à Lodeïnoïe Pole, est traversé par l’autoroute E105 entre Saint-Petersbourg et Kola, dans la mer de Barents (Ça aussi fait rêver, n’est-ce pas ? La mer de Barents, Mourmansk, Arkhangelsk… la conquete de l'Arctique...) et que le village, dont les quelques maisons que nous avons pu voir sur les berges, plantées dans un paysage qui rappelait le film d' Andreï Kontchalovski , la «Sibériade », est à approximativement 9 km de Lodeïnoïe Pole. (merci google map)
Et, toujours à l’aide de google map, on peut voir que ces grandes espaces boisées, supposés déserts, fourmillent en fait d’activité humaine, abatage de bois, avec les implicites scieries et plusieurs mines pour tous leurs minerais (fer, diamants, vanadium, molybdène), des routes partout (c’est vrai, la majorité en terre battue, mais avec le gel qui dure ici presque 8 mois par ans, ça sera pratiquement impossible d’entretenir autre type de routes).
Si on cherche un peu plus, on peut voir qu’il y a aussi, à quelques 26km de cet endroit, un grand monastère, renommé dans l’orthodoxie et même important lieu de pèlerinage et très fréquenté, le monastère de la sainte Trinité, Alexandre Svirsky, à Staraya Sloboda. Comme quoi…
Après un pas trop rassurant exercice d'alerte, où nous avons appris à enfiler en vitesse les gilets de sauvetage et une première écluse plus tard, nous sommes arrivés à Verkhnie Mandrogui, c’est-à-dire le Mandrogui d’en Haut, à 260 km de Saint Petersbourg.
Je ne sais pas si Mandrogui d’en bas a existé, mais celui-ci est un ancien village de pêcheurs vespes, avec vingt-et-une maisons, 70 hommes et 71 femmes au recensement de 1905, abandonné à la deuxième guerre mondiale (feu, plus nettoyage ethnique stalinien, probablement, les vespes étant une population finno-ougrienne ?).
Acheté en 1996 par un entrepreneur très entreprenant, le village a été reconstruit et transformé en une sorte de village-touristique, censé représenter «le style traditionnel des villages typiques de Carélie » et surtout recevoir à moindres frais les touristes de passage entre Saint Pétersbourg et Moscou.
Je ne sais pas ce que disent les spécialistes, mais personnellement j’ai des doutes que ce village représente «le style traditionnel des villages typiques de Carélie ».
Plutôt un mélange de styles, inspiré des villages similaires des indiennes du Québec, dirais-je…
Bon, maintenant de quoi je me mêle? Le cadre est magnifique, les maisons en bois sont vraiment remarquables et apparemment le village se repeuple: il y a déjà 50 habitants permanents auxquelles s’ajoutent deux cents personnes qui viennent y travailler de l'extérieur.
Ceci dit, après une photo faite depuis l’entrée d’une des boutiques de souvenirs, j'ai continué mon chemin en faisant le tour du village, profitant à fond de la beauté des lieux, tout en repérant les choses à visiter après le repas.
Lequel repas, un soit disant « pique-nique en plein air », en fait « « pique-nique » bien assis à table sous une structure en bois, avec un accompagnement musical interprété par les musiciens du bateau, était l’occasion de goûter aux "spécialités culinaires russes", parmi lesquelles les « Zakouskis » (entrée froides), le Bortch (soupe au chou) et les « Chachlik », des brochettes de viande de bœuf, de mouton, de poulet ou de porc, une spécialité culinaire russe originaire du Caucase et de l’Asie Centrale. Bof, qui n’a pas mangé des brochettes dans sa vie, hein ?
Beaucoup plus intéressante pour moi c'était l'après-midi, quand je me suis aventurée seule vers le monde imaginaire de Pouchkine, Lukomorie.
Parce que oui, c’est là, sur une ile, au milieu de la forêt, que c’était ce pays des contes russes (lol) qui faisait parfois peur aux Soviétiques.
Mais maintenant les choses ont bien changés, même Poutine y est venu en visite à deux reprises, pendant lesquelles il a réussi "à maîtriser la poterie (le pot autographié qu’il a réalisé a été donné ensuite à un ami du président, Sergueï Guttsayt) et le tissage, ainsi que la peinture de plusieurs poupées.". C’est vrai que faire ça c’était peut être facile pour lui, vue qu’il a une maison dans le coin ( ou presque, car qu’est ce que c’est 274 km pour la Russie, hein ?) à Sortavala et qu’il est plein de talents…
Mais pour revenir à ma visite à moi dans ce pays imaginaire, pour y entrer il a fallu prendre un bac à câble, et là on a pu voir que mon éducation communiste est encore bien ancrée dans mon esprit : en ayant vraiment la sensation que je suis un exploitateur, j’ai pris à un moment donné la barre des mains de l’homme qui conduisait le bac et je me suis mis au travail.
Pendant ce temps, les deux autres passagers du dit bac, beaucoup plus jeunes que moi, mais des Français de souche, restaient impassibles, la conscience tranquille après avoir payé leur dû. Et, par contre, je peux parier qu'ils étaient de gauche! (Car c'est typique de gauche de dire quoi faire aux autres, sans se sentir concerné, lol)
Je me suis vite aperçu que je ne peux pas faire face trop longtemps, l’effort étant trop grand pour moi : j’ai presque 70 ans pardi, en plus avec mes problèmes de cœur &co, ben, il a fallu que je fasse taire ma conscience de communiste et que j’exploite moi aussi le travail d’autrui !
Quand même, j’ai respiré soulagée quand le bac à atteint sa destination et j'ai descendue sur la berge: je me suis pressé de me séparer de mes deux compagnons de fortune en coupant directement par la forêt vers l’église en bois qui était en train de se construire un peu plus loin.
Sur mon chemin à travers les ronces, j’étais trop heureuse de dire bonjour aux représentants de la Lukomorie que je n’ai pas tardé de rencontrer: le chat, Lioudmila, le sorcier &co.
"У лукоморья дуб зелёный;/Златая цепь на дубе том:/И днём и ночью кот учёный/ Всё ходит по цепи кругом;/Идёт направо - песнь заводит,/Налево - сказку говорит. " c'est écrit sur le chat.
Traduction:
" Dans Lukomoria verdit un chêne/ D'une chaîne en or encerclé ; / Toute la journée sur la chaîne danse / Un chat savant qui sait parler ; / S’il passe à gauche il chantonne, / Tandis qu’à droite, il dit des contes. "
Enfin, arrivée à la nouvelle église en plein construction, j’ai eu le temps de l’admirer un peu et de faire une photo à l’un des ouvriers (avec sa permission, bien sûr) juste pour pouvoir prouver que les Russes utilisent les même tronçonneuses Stihl que les Français, après quoi j’ai rejoint vite le chemin de retour pour ne pas rater le départ du bateau.
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La nature était vraiment somptueuse, les maisons en bois, poétiques, la plus grande botte en feutre du monde inscrite dans le livre des records Guinness, amusante…
Il y avait aussi la calèche avec son cocher barbu, habillé comme les moujiks russes d'antan, puis l’autre « moujik » barbu, qui jouait à sa balalaïka et acceptait pour quelques sous de se laisser prendre en photo avec les touristes désireux d’avoir des souvenirs « authentiques », pour ne pas parler du musée de la vodka, avec les murs tapissés des bouteilles de vodka vides…
Je trouvais plutôt triste tout ça… même si je comprends bien qu’il n’y a peut-être rien d’autre à faire pour gagner sa vie dans un endroit comme celui-ci, dans la Russie post-communiste…
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De retour au bateau j’ai eu le loisir de comprendre que nous serions tous très occupés pendant les suivantes jours de vacances, car nos hôtes voulaient à tout prix nous « éduquer » en nous occupant d’une manière studieuse tout le temps libre entre les divers visites, en nous aidant à perfectionner nos compétences concernant l’histoire de la Russie et de son peuple, sa culture, son folklore et j’en passe.
J’avoue que je ne m’attendais pas à ça et que j’étais un peu désorientée concernant l’attitude à adopter : d’une parte, formatée par mon éducation communiste (toujours elle) je me sentais obligée de participer et d’une autre, ça me gonflais de ne pas pouvoir rêvasser à ma guise, ou de ne pas pouvoir réviser mes leçons de langue russe, toute seule dans mon coin, (car oui, j’ai pris un lourd manuel avec moi, trop honteuse de ne pas savoir parler le russe après mes 7 années de russe à l’école) !
Mon mari n’avait pas du tout ce problème, d’un coup je ressentais la culpabilité pour tous les deux, mdr… Finalement, entre les cours de langue russe pour les débutants avec notre guide qui débutait lui-même en tant que prof, les cours de danses russes (ça alors !) les divers concerts et soirées dansantes, les je ne sais plus combien de conférences, ateliers de cuisine, confection de poupées russes, chansons, etc. j’ai choisi les chansons russes, les poupées, plus une des conférence concernant l’histoire contemporaine de la Russie!
Bon, pour les chansons, je dois d’amblée dire qu’en général je chante comme une casserole, quant aux poupées, je suis pas du tout ce qu’on appelle une « manuelle »…
Et pourtant, me voilà crier à plein poumons "Kalinka, Kalinka, Kalinka, maia.." et "Rastsvetali yabloni i grushi", ou encore "podmosckovnie vetchera"… quant à la poupée russe, ben, je suis vraiment contente et fière du résultat…
Par contre, pour la conférence, il m’a fallu de la volonté pour m’abstenir d’intervenir en plein conférence : on aurait dit que nous sommes dans une réunion d’éducation politique du Parti Communiste Russe !
Je ne sais pas si c’était les instructions que la guide conférencière avait, ou c’étaient tout simplement ses opinions, vu qu’elle venait d’une famille de communistes, avec la grande mère travaillant pour l’armée, etc… Mais l’écouter dire que « qu’est-ce que c’était bien pendant le communisme », que tout le monde recevait gratuitement des appartements, plus une datcha avec un potager à côté, etc… etc… c’était vraiment difficile à supporter ! Surtout que pas un seul mot sur les goulags, les morts, et tous les crimes du système.
De son point de vue, les manques d’aliments, de médicaments &co se sont fait sentir seulement après les années ’90 et tout était la faute de Gorbatchev !
Bon, mon opinion personnelle concernant Gorbatchev c’est qu’il n’a pas su comment sortir du communisme, contrairement à Deng Tsiao Ping. Mais dire que c’est lui qui a mené son pays à la ruine… !
A la fin de cette réunion d’enseignement politique je ne me suis pas abstenu et j’ai abordé la guide en lui rappelant que dès les années ’70 les magasins étaient vides en URSS et que même la situation locative &co, rien n’était aussi florissant comme elle l’affirmait, ce qu’elle a reconnu, par ailleurs, sans aucune hésitation…
Alors je lui ai posé la question « au moins vous avez réfléchi pourquoi ça n’a pas marché ? Le communisme, je veux dire »?
Elle à répondu que c’était à cause de personnes qui voulaient avoir plus que ce que la société pouvait leur offrir, avaient d’autres prétentions, culturels, matériels et etc…
Je lui ai répondu que, bien sûr, il y a de ça, mais que la principal cause c’est exactement la base idéologique du communisme, la forme de propriété !
Dans le communisme la propriété privée doit disparaitre, le travail doit être un plaisir, les fruits du travail-plaisir doivent être partagés entre tous, à chacun conformément à ses besoins : « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » pardi …
Comme dans les monastères, par exemple, car oui, le communisme est une idéologie millénariste, comme le christianisme. C’est peut-être beau de rêver, mais dans la pratique elle ne peut pas être autre chose que ce qu'elle a été dans les pays derrière le rideau de fer ! Orwell, dans "La Ferme des animaux" l’a très bien décrit !
Bon, ceci dit, j’en ai rien à faire, mais ma conclusion est claire: « les Russe sont loin d’être sortis du communisme ! » et plus généralement, sans un procès du communisme, comme le procès de Nuremberg pour le fascisme, des millions de gens n’ont pas pris la mesure exacte et n’ont rien compris de ce qui s’est passé !
Quand même espérons qu'au moins lui, ce petit garçon et ceux de son âge, vont comprendre et vont changer les choses...
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